LE JOURNAL DES MILITANTS CALADOIS

Ils comptent les sous, pas les vies

Élise Joussemet, HandiEnColère, tire la sonnette d’alarme. En face, Thomas Ravier (oui, encore lui), vice-président du Département du Rhône chargé des solidarités et de l’autonomie… coupe le micro.

À la Tribune Caladoise, on ne parle pas que de pavés, de manifs et de bastons politiques locales — on parle aussi des vies qu’on piétine en silence. Notre journal existe pour ça : porter la voix de celles et ceux qu’on n’écoute jamais, donner de l’écho aux colères trop souvent étouffées, relier les luttes d’ici avec celles d’ailleurs.

C’est comme ça qu’on a rencontré Élise Joussemet, plus connue sous le nom de HandiEnColère, militante antivalidiste. Interpellée par nos précédents articles, elle nous a contacté. Elle voulait nous interpeller sur ce qu’elle subit. Elle avait raison. Et nous, on a voulu relayer son cri — parce que la lutte contre l’injustice ne s’arrête pas aux frontières de Villefranche.

Portrait d’une colère légitime

Élise Joussemet vit avec des maladies chroniques invalidantes, elle est aussi atteinte de troubles autistiques. Elle a besoin d’aides humaines pour vivre décemment. Mais depuis 2022, c’est la double peine : vivre avec un handicap et devoir batailler sans relâche contre une administration qui transforme les droits fondamentaux en parcours du combattant.

Elle a d’abord eu affaire à la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) du Rhône, placée sous l’autorité du Conseil départemental. Et devinez qui y siège en tant que vice-président chargé des solidarités et de l’autonomie ? Notre maire préféré : Thomas Ravier, bien sûr. Mais il ne fait pas que signer les cartes de vœux : il siège aussi au COMEX de la MDPH 69, le comité exécutif qui décide des grandes orientations de la structure. Alors quand Élise contacte notre maire ou Christophe Guilloteau pour dénoncer des dysfonctionnements aussi graves que massifs, elle ne s’adresse pas à un figurant. Elle s’adresse à un décideur. Et lui ? Il laisse couler.

Extrait de l’arrêté N° 2O25.DSHE.MDMPH.O2.O3 precisant la composition de la commission exécutive administrant le groupement d’intérêt public dénommé << Maison départementale- métropolitaine des personnes handicapées >>

Depuis juin 2024, son dossier a basculé sous la responsabilité de la Métropole de Lyon. On aurait pu croire qu’une institution portée par une majorité écologiste et de gauche réagirait autrement. Mais non. Même silence. Même mépris. Même inertie. Les mails en copie à Pascal Blanchard, élu au handicap à la Métropole, sont restés sans réponse. Pas un mot. Pas un geste. Pas même un accusé de réception. Comme si la souffrance s’arrêtait à la limite des discours de campagne.

Et pendant ce temps-là, sur les réseaux sociaux, Thomas Ravier pose tout sourire aux côtés de Bruno Bernard, président de la Métropole et figure des écologistes, devant la nouvelle agence TCL de Villefranche-sur-Saône. Main dans la main pour couper un ruban. Main dans la poche quand il s’agit de répondre à la détresse. Ils peuvent bien poser ensemble pour la photo : ils partagent surtout l’art de faire disparaître les gens gênants hors du cadre.

Photo du 21/05 diffusé par Thomas Ravier sur son compte Meta

Les droits ? Jetés à la corbeille

Voici un florilège des pratiques que dénonce Élise dans un communiqué aussi clair que glaçant :

  • Non respect de la procédure d’urgence, pourtant prévue par la loi, quand le maintien à domicile est menacé.
  • Refus de prendre en compte le référentiel PCH, qui détermine les critères à prendre en compte pour accorder des prestations. Bizarrement l’application rigoureuse de la loi, si cher à nos élus de droite, est bien souvent unilatérale.
  • Aucun PPC fourni (le document préparatoire qui permet de défendre son dossier).
  • Interdiction de présenter sa défense en commission.
  • Décisions non motivées, voire juridiquement bidon.
  • Refus de communiquer la composition de la commission (pourtant imposé par la loi).
  • Paiement direct imposé aux usager·es, sans contrôle ni recours.

Résultat ? Quatre fois moins d’heures d’aide que ses besoins réels, une santé qui se dégrade, une vie sociale réduite à zéro, et une maltraitance institutionnelle quotidienne.

Mais attention, pas de vagues hein. Quand Élise ose dénoncer, on cherche à la faire taire. Jusqu’à ce qu’une structure tente de lui facturer 25% de plus après coup. Pas un dysfonctionnement, un système.

Le Département gèle, Villefranche gèle aussi

Si vous trouvez que ce récit vous rappelle quelque chose… c’est normal. Parce que ce mépris, cette opacité, cette politique d’abandon, on la connaît aussi ici.

👉 Des réseaux sociaux municipaux verrouillés, où toute critique est supprimée, et où certain·es habitant·es sont carrément banni·es d’accès aux infos locales, comme si exprimer un désaccord vous rayait du fichier citoyen.

👉 Des projets sociaux abandonnés sans l’ombre d’un remords, comme le refus de financer les éducateurs de rue, jugés sans doute trop utiles pour être rentables.

👉 Des associations privées de subventions après avoir osé s’opposer à un projet soutenu par le Département : le port fluvial du Bordelan, véritable aberration écologique qu’il ne fait pas bon critiquer si vous voulez garder vos financements. France Nature Environnement, la LPO, Anthropologia : toutes punies pour avoir levé la main. On appelle ça comment déjà ? De la répression politique.

👉 Et plus récemment encore, le Conseil départemental du Rhône a refusé d’appliquer la revalorisation du RSA de 1,7 %, pourtant décidée au niveau national. Traduction : les plus pauvres peuvent bien attendre, l’austérité locale a parlé.

Même recette à la ville qu’au Département : delay, deny, defend (retarder, refuser, se défendre), le triptyque des institutions qui préfèrent protéger leurs budgets plutôt que leurs habitant·es.

« Aide à mourir » ? Commençons par l’aide à vivre.

Alors qu’au Parlement, les débats s’enflamment autour du projet de loi sur « l’aide à mourir », une question s’impose, brutale, mais essentielle : comment peut-on sérieusement parler de fin de vie choisie dans une société où la vie, elle-même, n’est pas rendue possible ? Où des gens comme Élise, et des milliers d’autres, sont abandonné·es, maltraité·es, nié·es, et doivent quémander leurs droits comme s’ils étaient des privilèges ?

On veut nous vendre cette loi comme un progrès, comme un « choix », comme un geste de liberté. Mais quelle liberté, quand on n’a même pas celle de vivre dignement ? Quand le quotidien est déjà une épreuve, une lutte contre l’administration, contre l’indifférence, contre l’isolement ? Quand les aides sont supprimées, les soins refusés, les maisons de retraite hors de prix, les accompagnant·es précarisé·es ?

Ce n’est pas une liberté, c’est un abandon.

Et c’est un abandon qui tombe pile au moment où l’État se désengage toujours plus des politiques sociales, où il ferme des lits d’hôpitaux, où il asphyxie les services publics, où il casse les dispositifs d’accompagnement, où il dissout les collectifs qui l’ouvrent un peu trop fort.

Cette loi, dans les faits, ouvre une porte terrifiante : celle d’un choix imposé par la misère. Dans un système qui refuse de payer l’aide à domicile mais envisage d’encadrer médicalement la mort, le message est clair : « Vivre coûte trop cher. Mourir sera plus simple. »

Bienvenue dans une société où l’on fait des économies sur les fauteuils roulants, mais pas sur les seringues létales.

Ce n’est pas une caricature, c’est une logique politique. Une société profondément validiste, où seuls les corps jugés “productifs” ont droit à l’attention, à la dignité, à l’investissement public. Et une société capitaliste, où l’on ne voit plus les personnes vulnérables comme des citoyen·nes à part entière, mais comme des coûts à réduire.

Alors oui, quand les conditions de vie sont indignes, la fin de vie ne peut pas être un “choix éclairé”.

Et pendant ce temps, les vrais responsables se planquent : ceux qui bloquent les budgets, ceux qui refusent d’appliquer la loi, ceux qui comme Thomas Ravier ne daignent même pas répondre aux sollicitations des personnes concernées. Ceux qui réduisent la politique à de la communication Facebook et les solidarités à un mot sur une plaquette.

Notre autonomie, on va la prendre

Élise ne demande pas la charité. Elle exige ses droits. Et elle n’est pas seule. Partout, des personnes en situation de handicap, des jeunes, des précaires, des exilé·es, des oubliés du pouvoir relèvent la tête. Organisé·es, en colère, lucides.

Et il faut le dire clairement : la politique a des conséquences.

Les petits calculs de gros sous, les guerres de chapelle, les luttes d’ego, les batailles d’appareils… tout ça, pendant qu’ils jouent à se répartir les postes, des gens trinquent. Pendant qu’ils pensent stratégie, des droits sont piétinés. Pendant qu’ils soignent leur image pour la présidentielle, des personnes vivent — ou plutôt survivent — dans l’oubli.

Derrière chaque politique antisociale, il y a un silence complice.
Derrière chaque mesure austéritaire, il y a un renoncement collectif.
Derrière chaque abandon, il y a un choix politique qu’on a laissé à d’autres.

Alors non, la politique ne peut plus rester entre les mains des politiciens.
Elle est trop grave pour leur être confiée. Trop lourde de conséquences. Trop vitale.

À nous de la reprendre. À nous de faire en sorte que plus personne ne soit laissé sur le bas-côté.

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