Ce dimanche, on s’est retrouvé à une petite centaine. Dans les rues de Villefranche. Partis du quartier de Béligny, passés par Fontgraine, devant la mosquée, et jusqu’au parc Simone Veil. C’était une marche contre l’islamophobie. Une marche en hommage à Aboubakar Cissé, assassiné pendant sa prière. Une marche de colère. Une marche d’amour.
On a chanté. Contre les racistes. Contre les fascistes. Contre ceux qui voudraient nous faire taire à coups de matraques ou de dissolutions. Et à cause d’un « sous-effectif » policier (sûrement pas tous rentrer de la marche parisienne de la veille), on a assuré nous-mêmes la circulation. C’est ça aussi, l’auto-organisation. Parce que manifester est un droit. Et que ce droit, on compte bien le faire vivre.
Il y a eu des prises de parole fortes, puissantes, pleines de justesse. Fathi, de la France Insoumise, a rappelé que le racisme est une injustice, pas une opinion. Que les races n’existent pas, mais que le racisme, lui, tue. Qu’il ronge la société, qu’il détruit la solidarité et qu’il faut choisir l’humanité.
Devant le commissariat, le collectif Antifa a dit l’indispensable : que le racisme, c’est aussi la violence. Pas que des tweets, pas que des regards. Des coups. Des humiliations. Des morts.
Puis, devant la mosquée, Pamela, pour l’Union Locale Solidaires, a pris la parole pour Aboubakar. Un homme de 22 ans, poignardé sur son tapis de prière, filmé agonisant par son meurtrier, pendant qu’il éructait sa haine de l’Islam. Non, ce n’était pas un fait divers. Ce n’était pas une embrouille. C’était un meurtre politique. C’était un crime islamophobe. Et c’était le fruit empoisonné d’années de discours, de lois, d’éditos, de plateaux télé, de dissolutions, de soupçons constants. Le fruit d’un système qui désigne des coupables à la télé et s’étonne ensuite qu’on les frappe dans la rue.
Après une minute de silence, on a repris les chants. On a crié fort. « Siamo tutti antifascisti ». On a crié pour ne pas se taire. On a crié pour que la peur change de camp.
Et Killian, à la fin, a dit ce qu’il fallait : il faut dépasser la colère. L’organiser. Ensemble. Avec patience et solidarité.
Mais soyons honnêtes. À part nous, qui est venu ?
Où étaient les grands noms ? Les politiques locaux, le maire, le député, la lutte contre l’islamophobie ne les intéresse pas ? Pour être taquin nous aurions pu aussi dire que certaines organisations sont plus promptes à signer des programmes commun quand il s’agit de sauver la République que d’agir quand il faut marcher avec les quartiers ? Où étaient celles et ceux qui prétendent défendre les droits humains mais disparaissent dès qu’un keffieh ou un foulard entre dans la pièce ?
Et, oui, même du côté des premiers concernés, on est parfois peu nombreux. C’est une vérité. Et elle est dure. Mais elle n’est pas une fatalité. Elle est le résultat d’années d’humiliations, de lois, de dissolutions arbitraires — la Jeune Garde, Urgence Palestine, Les Soulèvements de la Terre… Une à une, les voix dissidentes sont effacées.
C’est le résultat des scores de l’extrême-droite, qui caracolent en tête. C’est la faute aux plateaux télé, qui transforment la grève en caprice et la lutte en délinquance. C’est la peur de la police, qui gaze, frappe, arrête. C’est le travail de sape d’un État qui rend dangereux le simple fait d’être ensemble.
Militer n’est pas un gros mot. Même si l’État veut nous en convaincre. Même si le capital préfère les consommateurs aux citoyens. Militer, c’est aimer. C’est se battre pour les nôtres. Pour celles et ceux qu’on ne connaît pas mais qu’on refuse d’abandonner. C’est tisser des liens là où tout est fait pour nous séparer : le travail éclaté, les quartiers abandonnés, les centres sociaux fermés, la culture réduite aux conscrits, au marathon du beaujolais et au marché de Noël.
Là où on ne se parle plus, on ne se comprend plus. Et ce qu’on ne comprend pas, on apprend à le haïr.
Mais nous, on ne lâchera rien. Pas un pouce de trottoir. Pas un mot de trop. Pas une minute de silence qui ne soit transformée en cri.
On continuera. Pas à pas. Pavé par pavé. Nous traverserons la ville pour montrer à chacun qu’il est bienvenu. Que cette ville est à nous toutes et tous.
Alors oui, on marche. Parce qu’on n’a pas d’autres choix. Parce que cette démocratie-là, celle qui nous force à voter pour des racistes en costard, elle a déjà trahi, ce n’est plus la nôtre. Parce qu’elle a abandonné les quartiers, les pauvres, les musulmans, les femmes, les jeunes. Parce qu’elle laisse le fascisme s’installer, s’exprimer, se pavaner.
Nous, on veut une démocratie qui vit. Pas dans les urnes, mais dans les rues. Dans les syndicats. Dans les luttes. Une démocratie qui respire. Qui désobéit. Qui se construit à plusieurs.
Alors oui, on marchera encore.
Parce que marcher ensemble, c’est le premier pas vers la liberté.