Le récit d’une France des luttes qui refuse la France des flûtes
✍️ Par un pâtissier un peu énervé, nourri à la farine libre et à l’huile de coude syndicale.
Rappel des faits (et des fakes)
Ce 10 avril, notre cher député caladois Alexandre Portier, co-signé parle les parlementaires LR, a écrit une lettre à la ministre du Travail. Le propos ? Se scandaliser que les boulangers n’aient pas le droit d’« employer des salariés volontaires » le 1er mai.
Dans leur lettre : des trémolos dans la plume pour défendre ces pauvres artisans empêchés de « faire leur métier ». En réalité ? Une énième tentative de détricoter un des derniers jours fériés vraiment à la gloire des travailleurs… sans pub, sans promo, sans patrons.
Le 1er mai, un jour de lutte, pas de flute
Avant d’être une « curiosité administrative », le 1er mai, c’est le sang des martyrs de Chicago en 1886, pendus pour avoir réclamé la journée de 8 heures. C’est aussi une tradition qui s’étend, dans les années suivantes, partout où le monde ouvrier s’organise. Un jour de convergence mondiale, une rare unité dans la classe travailleuse.
Et voilà qu’on voudrait, au nom du « bon sens économique », y remettre les chaînes et les tabliers ? On connaît la musique : aujourd’hui les boulangers, demain les caissières, les éboueurs, les soignants… Et à la fin, plus personne n’aura le droit de se reposer, de faire grève ou de penser à autre chose qu’à produire.
Le premier mai est un point de fuite. Un arrêt dans la mécanique folle de la production. Une pause mondiale. C’est une victoire, une anomalie magnifique. Pas question d’en faire un jour promo pour la baguette tradition ou la viennoiserie libérale.
Boulangers exploités, patrons chagrins
Le storytelling des députés LR a quelque chose de croustillant : ils nous peignent l’image romantique du petit artisan en tablier, seul dans son fournil, empêché de servir ses clients fidèles à cause d’un État sourd et rigide, quasiment communiste. Sauf que les chiffres sont têtus : plus de 75 % des boulangeries emploient des salarié·es, en moyenne cinq par établissement. Ce n’est donc pas la liberté du boulanger qui est en jeu, mais bien celle de son salarié.
J’ai été un de ses salariés, je travaille depuis plus de 10 ans dans les métiers de bouche. Pour nous, pas un jour férié, pas de Noël, pas de pâques, des journées de plus de 12 heures parfois. Ce 1er mai, c’est la seule assurance de pouvoir profiter, un jour dans l’année.
Et ce salarié, qui a peut-être déjà des semaines de plus de 40 heures, n’a pas forcément envie de passer sa journée de lutte à pétrir du pain pour que son patron se fasse une rallonge de chiffre d’affaires. Même « volontaire », on sait comment ça marche : la pression, la peur de perdre sa place, l’ambiance. Le « volontariat » du salariat, c’est un peu comme les débats avec un gouvernement macroniste : ça finit très vite en 49.3.
Le 1er mai : une parenthèse, pas un jour de promo
Ce jour-là, on ne produit pas. On ne vend pas. On ne consomme pas. Ce jour-là, on se souvient, on manifeste, on rêve. On sort du rouleau compresseur capitaliste. C’est un jour de silence dans la machine. Un jour pour dire : nous ne sommes pas que des bras, des rouages, des chiffres sur des feuilles Excel.
C’est un jour pour l’humanité. Pour la planète aussi. Une journée sans production, c’est aussi une journée sans extraction, sans pollution, sans transport frénétique. C’est un peu de répit pour tout le monde.
Vouloir faire du 1er mai un jour comme les autres, c’est rayer l’histoire des luttes, c’est profaner la mémoire ouvrière. C’est comme repeindre le mur des Fédérés en bleu-blanc-rouge et y mettre une pub pour le livret A. Honteux.
Portier, Ciotti, Le Pen : l’arc Ripoublicain ?
Alexandre Portier, toujours à la pointe du progressisme réactionnaire, enchaîne les figures de style pour reprendre les thèmes de l’extrême droite. Après avoir glissé sur l’éducation sexuelle, le voilà qui joue les petits patrons outragés. Il paraphrase même Marine Le Pen sur X (ex-Twitter) :
« Pourquoi priver les salariés volontaires de gagner deux fois leur salaire ? Quand ce gouvernement va-t-il laisser les Français travailler ? »
La liberté ? Oui, mais celle des salarié·es, pas celle d’exploiter. La fête du travail ? Oui, mais pour célébrer les luttes, pas pour faire la fête aux travailleurs.
Pour conclure
Ce genre de tribune est tout sauf anodine. Elle s’inscrit dans un projet global : rendre acceptable l’inacceptable. Faire croire que tout ce qui gêne l’économie est un archaïsme. Que ceux qui luttent sont des feignants, des râleurs, des irresponsables.
Mais nous, on a de la mémoire. Et on a encore quelques rêves. Comme celui d’un monde où l’on travaillerait moins, mieux, ensemble. Où le pain ne se ferait pas sur le dos de celles et ceux qui le pétrissent. Un monde où les jours fériés ne sont pas à vendre ni des variables d’ajustements.
Alors non, Alexandre, on ne bossera pas le 1er mai. Mais t’inquiète, on pensera à toi. Et si on te croise en manif, promis : je te montrerais comment faire ton pain à maison. À la sueur de ton front, et sans exploitation.