L’État de droit, cette noble invention des juristes bourgeois, tremble-t-il dans ses talons vernis ? Il faut croire que oui, depuis qu’une certaine héritière du père fondateur de la xénophobie électorale a été rattrapée par la justice. Marine Le Pen, condamnée le 31 mars dernier pour détournement de fonds européens, se retrouve dans une position inhabituelle : celle de la justiciable. Panique chez les dominants ! L’aristocratie politique et médiatique, habituée à brandir la matraque judiciaire contre les pauvres, les racisés et les militants, s’insurge soudain que la bête leur morde la main.
La bourgeoisie rugit
La condamnation de Le Pen n’a pas fait couler que des pintes sur les terrasses : elle a surtout fait couler des torrents de larmes chez les chroniqueurs de l’empire Bolloré, qui, dans un élan d’hystérie mal contenu, ont crié au procès politique. On aurait cru entendre un écho inversé de ce qu’ils disaient hier des militants arrêtés pour des actions non violentes. C’est que les lois d’exception, dans leur tête, n’ont qu’un seul sens de circulation : du bas vers le haut, jamais l’inverse.
Un gouvernement qui se met au pas, entre récupération politique et peur pour soi
Et comme un fait exprès, les habituels notables centristes sont venus ajouter leur grain de sel réactionnaire. François Bayrou, pourtant mis en cause lui aussi (rappelons-le, juste au cas où), a jugé cette décision « préoccupante ». Bruno Retailleau, lui, a vu dans cette affaire un affaiblissement de la démocratie. Le nouveau chouchou des racistes, qui compte bien mangé sa part du gâteau à la merde lors des prochaines élections, espère surement récupérer les voix de ceux qui hésiteraient encore à voter Bardella. Quand la machine judiciaire se retourne vers eux, ils crient au coup d’État. Quand elle écrase les manifestants, les grévistes ou les sans-papiers, c’est l’ordre républicain.
L’article 64
L’ironie, c’est qu’en s’indignant ainsi d’une décision de justice, ces braves serviteurs de l’État foulent au pied la sacro-sainte Constitution. L’article 64 affirme que « le président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ». Mais quand Darmanin (beurk), ministre de la Justice, annonce dans la foulée vouloir une procédure d’appel accélérée pour cette affaire, il ne garantit plus grand-chose – sinon son propre opportunisme.
En réalité, ce gouvernement démontre une chose : l’État de droit n’est pas un rempart. C’est une vitrine. Derrière le verre, les puissants s’organisent, s’indignent quand un des leurs tombe, et réparent aussitôt la machine pour qu’elle continue d’écraser les autres.
État de droit
Mais au fait, c’est quoi, l’État de droit ? « État dans lequel la puissance publique est soumise aux règles de droit. L’État de droit fait respecter l’égalité des citoyens et la séparation des pouvoirs. Il s’oppose ainsi à la notion de pouvoir arbitraire.. » Une fiction utile pour maintenir l’illusion démocratique. Dans les faits, c’est surtout un mécanisme sophistiqué pour protéger les institutions contre les bouleversements profonds. L’État de droit, ce n’est pas la justice ; c’est la légalité du statu quo.
Il sert d’écran de fumée à une violence systémique : raciste, sexiste, classiste. Il empêche les révolutions et garantit les profits. Il protège les bétonneurs de forêts, pas les arbres. Il s’indigne qu’on brûle une voiture, pas qu’on crève à petit feu dans une chambre d’hôtel social.
Prenons l’exemple des musulmanes dans le sport. À chaque débat sur le voile, c’est le même rituel : plateaux télé, indignation sélective, experts blancs masculins expliquant à des femmes ce qu’elles devraient porter. L’État de droit ne les protège pas les minorités d’une majorité qui les oppresse. Il légifère contre elles. Il les contrôle, les exclut, les punit.
État d’exception permanent
Et lorsqu’on se mobilise pour défendre nos droits, que fait cet État de droit ? Il les piétine. Lors de la lutte contre la réforme des retraites, la préfecture de Paris a usé et abusé d’arrêtés illégaux pour interdire les manifestations. Et pas par erreur, non : sciemment, comme le révèle une analyse juridique (voir ici : Le Club des Juristes). Voilà la justice en marche : sans frein, sans contre-pouvoir, mais avec gyrophares.
On pourrait aussi parler du chantier de l’A69. Déclaré illégal par le tribunal administratif de Toulouse, mais que le gouvernement a ordonné de reprendre sans attendre. L’État de droit ? Il a pris sa pelle et son casque de chantier, direction la déforestation.
L’État, cet outil d’oppression bien huilé
Tout ça mène à une conclusion simple, mais essentielle : l’État n’est pas neutre. Ce n’est pas un arbitre, c’est un joueur. Un joueur armé, financé, et soutenu par les possédants. L’État de droit, dans cette partie truquée, est juste le manuel d’instructions pour éviter que le peuple ne retourne la table.
Il ne protège pas le peuple, il le contient. Il n’abolit pas les oppressions, il les organise. Il ne garantit pas la démocratie, il l’enterre sous des procédures, des appels accélérés, des lois répressives, et des ministres indécents.
Alors que Marine Le Pen défaite devant la justice, souvenons-nous que ce n’est pas une victoire du système contre l’extrême droite. C’est juste un accroc dans leur robe de bal. Ce système n’est pas notre allié. Et il ne le sera jamais.