Ceci est la deuxième partie d’une série sur l’histoire libertaire de Villefranche. Aujourd’hui, nous aborderons un nom bien connu des Caladois : Vermorel.
« Ce qu’on appelle liberté, dans le langage politique, c’est le droit de faire des lois, c’est-à-dire d’enchaîner la liberté. »
Auguste Vermorel
N.B. : Il est important de comprendre une notion pour la suite de cet article. J’utiliserai parfois le terme « socialiste », tel que je l’ai trouvé dans les écrits de l’époque. Bien avant qu’il soit fourvoyé, ce terme désignait un idéal politique et regroupait sous sa bannière plusieurs courants de pensée. Notamment ceux formant la Première Internationale, c’est-à-dire les marxistes, les anti-autoritaires (dits « bakouninistes ») et les mutualistes.
Contexte
Auguste Vermorel naît à Denicé en 1841, tout près de Villefranche. Il traversera quatre périodes historiques, né sous le régime de Louis-Philippe, il verra la révolution de 1848 et la Deuxième République qui accouchera de l’Empire. Il meurt en 1871 sur les barricades, un jour avant son anniversaire. Il aura donc connu les prémices de la Troisième République à travers le gouvernement de défense nationale et la Commune.
Enfant Caladois
Auguste Vermorel est donc un enfant du Beaujolais. Son père était instituteur, il avait le goût des études. Ces études le mèneront, plus tard, à Paris pour étudier le droit, mais elles lui permettront surtout un passage par le collège des Jésuites de Mongré. Preuve s’il en fallait que les hommes politiques passés par cette école ont aussi le droit d’avoir des valeurs humanistes. Cette éducation religieuse le marqua à vie. Jules Vallès (« un des plus grands écrivains de l’anarchie » selon Jean Birnbaum) le décrivait ainsi dans son livre L’Insurgé :
« Vermorel : un abbé qui s’est collé des moustaches ; un ex-enfant de chœur qui a déchiré sa jupe écarlate en un jour de colère — il y a un pan de cette jupe dans son drapeau.
Son geste garde le ressouvenir des messes servies, et son air de jeunesse ajoute encore à la ressemblance. On voit, en effet, derrière les processions de province, de ces grands garçons montés en graine, avec une tête mignonne, ronde et douce sous la calotte coquelicot, qui effeuillent des roses ou secouent l’encensoir en avant du dais où le prélat donne la bénédiction.
Le crâne de Vermorel appelle le petit couvercle pourpre, quoiqu’il y ait mis le bonnet phrygien.
Il zézaie presque, ainsi que tous les benjamins de curé, et sourit éternellement, du rire de métier qu’ont les prêtres — rire blanc dans sa face blanche, couleur d’hostie ! Il porte, sur tout lui, la marque et le pli du séminaire, cet athée et ce socialiste !
Mais il a tué, de son éducation religieuse, ce qui sent la bassesse et l’hypocrisie ; il a arraché, en même temps que ses bas noirs, les vices de dessous des dévots, pour en garder les vertus féroces, l’énergie sourde, la tension vers le but, et aussi le rêve inconscient du supplice.
Il est entré dans la Révolution par la porte des sacristies, comme un missionnaire allant au-devant de la cangue en Chine ; et il y apportera une ardeur cruelle, des besoins d’excommunier les mécréants, de flageller les tièdes — quitte à être, lui-même, percé de flèches, et crucifié avec les clous sales de la calomnie ! Lisant tous les jours son bréviaire rouge, commentant, page par page, sa nouvelle Vie des saints, préparant la béatification de l’Ami du peuple et de l’Incorruptible, dont il publie les sermons révolutionnaires et dont il envie tout bas la mort. »
Du Progrès à la Réforme
Après ses études et quelques piges dans des journaux socialistes, il rentre dans notre région à la mort de son père et commence à travailler comme journaliste pour Le Progrès (1864). Très vite, il est aspiré par ses convictions militantes et, après une suspension pour un article aux velléités socialistes et internationalistes, il retourne à Paris. Cette ville haussmannienne sous l’Empire de Napoléon III n’accueillera que moyennement Le Courrier Français, le journal qu’il monta en 1866. Ses écrits, qui couvraient la campagne contre l’Empire et les hommes qui le servent, lui valurent une nouvelle condamnation. À sa sortie de prison, il rejoint La Réforme, le principal journal socialiste de l’époque. Sous l’Empire, Delescluze et Vermorel furent certainement les deux journalistes qui visitèrent le plus souvent le Pavillon des Princes à Sainte-Pélagie (prison parisienne détruite en 1889). Il prit part à la campagne électorale de 1869 dans les rangs socialistes.
Premier Soulèvement
« L’action révolutionnaire doit remplacer l’action parlementaire. » – Auguste Vermorel, 17 septembre 1869
Au moment de la révolution du 4 septembre qui chassa la famille impériale, Vermorel purgeait encore une peine de prison. Les ennemis de l’Empire furent libérés et enrôlés dans la Garde nationale. Auguste était au service de l’artillerie. Il prit part aux événements du 31 octobre 1870 (Ce jour-là, une manifestation populaire éclate à Paris contre le Gouvernement de la Défense nationale, qui avait été mis en place après la chute du Second Empire. Les Parisiens, mécontents de la gestion de la guerre franco-prussienne et des conditions de vie sous le siège de Paris par les Prussiens, réclament des réformes politiques et sociales. La manifestation dégénère en affrontements violents entre les manifestants et les forces de l’ordre. Les Parisiens tentent de prendre le contrôle de l’Hôtel de Ville, mais ils sont repoussés par les forces gouvernementales. Cet événement est un prélude à la Commune de Paris, qui éclatera quelques mois plus tard, en mars 1871, et marque une montée des tensions révolutionnaires dans la capitale française.) ce qui lui valut une condamnation de quatre mois.
Commune de Paris
« La liberté est un principe supérieur qui doit dominer le gouvernement et la loi. Loin de s’appuyer sur la loi, comme on le répète communément, il faut, au contraire, que la liberté ait une force indépendante telle qu’elle puisse protéger efficacement les citoyens contre les attentats du gouvernement, alors même que ces attentats, par une profanation habituelle au despotisme, essayeraient de se couvrir sous l’égide sacrée de la loi. » – Le Parti socialiste, Auguste Vermorel
Vermorel a été élu à la Commune de Paris le 26 mars, recueillant 13 402 voix dans le XVIIIe arrondissement sur un total de 17 443 votants. Il a siégé à la commission de la Justice à partir du 29 mars, puis à la commission exécutive à partir du 3 avril, et enfin à celle de la Sûreté générale du 21 avril au 13 mai. Son action au sein de la Commune a été marquée par une approche à la fois libérale et énergique. Il a demandé des explications à Raoul Rigault concernant les saisies de lettres et de journaux aux portes de Paris (séance du 1er avril), poussa à relâcher le curé de Saint-Eustache (22 avril) et s’éleva contre les empiétements du Comité de la rue d’Aligre (26 avril).
Rapidement, le Conseil de la Commune se divise en « majorité » et « minorité » :
– Les majoritaires sont les jacobins, les blanquistes et les indépendants ; pour eux, le politique l’emporte sur le social ; se voulant les continuateurs de l’action des « montagnards » de 1793, ils ne sont pas hostiles aux mesures centralisatrices, voire autoritaires ; ils voteront cependant toutes les mesures sociales de la Commune ;
– Les minoritaires sont les radicaux et les « internationalistes » proudhoniens ; ils s’attachent à promouvoir des mesures sociales et anti-autoritaires ; ils sont les partisans de la République sociale.
« Par un vote spécial et précis, la Commune de Paris a abdiqué son pouvoir entre les mains d’une dictature, à laquelle elle a donné le nom de Comité de Salut public.
La majorité de la Commune s’est déclarée irresponsable par son vote, et a abandonné à ce Comité toutes les responsabilités de notre situation.
La minorité à laquelle nous appartenons affirme, au contraire, cette idée, que la Commune doit au mouvement révolutionnaire, politique et social, d’accepter toutes les responsabilités et de n’en décliner aucune, quelques dignes que soient les mains à qui on voudrait les abandonner. Quant à nous, nous voulons, comme la majorité, l’accomplissement de la rénovation politique et sociale ; mais, contrairement à sa pensée, nous revendiquons, au nom des suffrages que nous représentons, le droit de répondre seuls de nos actes devant nos électeurs, sans nous abriter derrière une suprême dictature que notre mandat ne nous permet pas de reconnaître.
Nous ne nous présenterons plus à l’Assemblée que le jour où elle se constituerait en tribunal pour juger un de ses membres. Dévoués à notre grande cause communale, pour laquelle tant de citoyens meurent tous les jours, nous nous retirons dans nos arrondissements, trop négligés peut-être. Convaincus d’ailleurs que la question de la guerre prime en ce moment toutes les autres, le temps que nos fonctions municipales nous laisseront, nous irons le passer au milieu de nos frères de la garde nationale, et nous prendrons notre part de cette lutte décisive, soutenue au nom des droits du peuple. Là encore, nous servirons utilement nos convictions, et nous éviterons de créer dans la Commune des déchirements que nous réprouvons tous ; car nous sommes persuadés que, majorité ou minorité, malgré nos divergences politiques, nous poursuivons tous le même but : la liberté politique ; l’émancipation des travailleurs.
Vive la République sociale ! Vive la Commune !
Signé : Ch. Beslay, Jourde, Theisz, Lefrançais, Eugène Gérardin, Vermorel, Clémence, Andrieux, Serraillier, Ch. Longuet, Arthur Arnould, Victor Clément, Avrial, Ostyn, Frankel, Pindy, Arnold, Jules Vallès, Tridon, Varlin, Gustave Courbet. »
Retranscription de la déclaration signée des minoritaires et donc par Auguste Vermorel
Pendant la Semaine sanglante, il combat sur les barricades. On peut l’entendre lors de l’enterrement de son ami Dombrowski :
« Vermorel, le frère du général, ses officiers et deux cents gardes environ sont debout, tête nue. “Le voilà, s’écrie Vermorel, celui qu’on accusait de trahir ! Il a donné un des premiers sa vie pour la Commune. Et nous, que faisons-nous, au lieu de l’imiter ?” Il continue, flétrissant les lâchetés et les paniques. Sa parole, embrouillée d’ordinaire, court, échauffée par la passion, comme une coulée de métal fondu : “Jurons de ne sortir d’ici que pour mourir !” Ce fut sa dernière parole ; il devait la tenir. Les canons à deux pas couvraient sa voix par intervalles. Il y eut bien peu de ces hommes qui ne pleurèrent pas. »
Lissagaray, le 24 mai 1871
Il est grièvement blessé le 25 mai 1871. Il est transféré comme prisonnier à Versailles, où il meurt lentement faute de soins.
« Vermorel parcourut alors les avant-postes et se porta aux endroits les plus exposés, dans l’intention évidente d’y trouver la mort qui n’a pas voulu de lui et qui l’a encore épargné dernièrement, puisqu’il est aujourd’hui, quoique blessé, l’un des rares survivants de cette Commune. »
Honte sur le Versaillais
Postérité
Auguste Vermorel est enterré là où il est né, près de chez nous à Denicé. Son combat aura été jusqu’au bout pour la liberté et l’émancipation des peuples, contre l’autorité quelle qu’elle soit. Si notre ville met en avant Victor Vermorel, l’inventeur, rendons hommage à la Commune et à ceux qui l’ont faite.